A quelle conversion les pauvres nous invitent-ils en paroisse et hors paroisse ?

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Au cours de la session « Renaître d’En Haut avec Ceux d’En Bas » qui s’est tenue les 2 et 3 février à la faculté Loyola à Paris, Nicole et Martine de la Famille Bartimée ont répondu à cette question à partir de leur propre expérience. Leur Paroisse est plutôt dans un environnement social privilégié du diocèse de Toulouse. Elles nous partagent leur expérience en trois parties ; à partir de la parole des membres de la famille Bartimée, de celle des paroissiens et enfin des autorités locales.

La Famille Bartimée est un petit groupe au service du frère de l’ensemble paroissial Notre-Dame d’Autan près de Toulouse. Il rassemble entre 20 et 30 personnes, compagnons et bénévoles venus de la paroisse, formés à peu près pendant un an. Ils ont choisi de s’appeler Bartimée et ensuite Famillle Bartimée. Le groupe s’inspire de la pensée du Père Joseph Wresinsky, de l’expérience des sœurs de la bonne nouvelle et du réseau Saint Laurent.

Créer et accepter la rencontre pour aller à la rencontre de l’autre
On est à la sortie de la veillée Pascale et là un compagnon dit : « Eh bien on pourrait boire un chocolat chaud ? »
Aussitôt Danielle et Julie qui font partie de la famille disent « oui mais où ? »
Et il propose d’entrée de jeu « Ben, chez nous ! ». Ils partent chercher des paroissiens et puis des prêtres et finalement, il y a un prêtre qui vient, le Père Cyprien et voilà ce que dit Daniel : «Je lui ai posé des questions sur Juda et on a parlé ; c’était très intéressant il était ouvert j’ai trouvé ça magnifique parce que c’était en dehors de l’église ; j’ai ouvert la porte et il ne s’est pas retiré, ils ont accepté notre invitation. Le fait de pouvoir discuter justement ça rapproche et c’est bon. »

On va dire que l’enjeu de la fraternité est là. Être libre, vrai, gratuit. C’est beau et c’est bon, rien d’extraordinaire ! C’est Julie qui le dit :
« Maintenant quand je suis dans la rue on me demande des nouvelles de mon compagnon ; C’est des petites choses ; Après qu’on ait participé au synode, à l’époque ça se faisait pas maintenant y a des choses qui se font, y a des échanges qui peuvent se faire même si c’est compliqué, peut-être parce que eux et on sait pas comment faire, on n’ose pas »

Eric dit aussi : « ce qui n’était pas mal avec le synode, le fait qu’on ait pu parler au niveau de la fraternité, qu’est-ce qu’il faut changer ! On a rencontré des gens qui ne sont pas de Bartimée mais ça été des moments fort, des temps de partage de confiance même si ça n’a pas duré longtemps et c’est intéressant de s’enrichir les uns les autres de poser cette question de la fraternité dans la paroisse ; il y en a qui commencent à comprendre comment on vit dans notre monde ; ils ne nous connaissaient pas et il ne savait pas les problèmes qu’on peut avoir ».

L’importance d’un ancrage paroissial
La paroisse, ce lieu improbable, ancré dans un territoire reste toujours quand même ce lieu unique. On vient y chercher la consolation, la tendresse de Dieu et aussi celle des autres, des proches comme dit Janine, « elle nous permet de ne pas être nomade » et un autre « s’il n’y avait pas eu la paroisse et je ne serais pas venu à Bartimée ».

En treize ans, si nous avons vécu beaucoup de moments avec toute la communauté paroissiale, si des liens très forts se sont tissés avec les paroissiens, en fait on peut dire que l’on est toujours en chemin, qu’on se construit petit à petit. Au début on était cinq, cinq en galère et trois compagnons. Et on avait seulement l’accord du curé. Pas de projets précis si ce n’est de les rassembler. L’un souhaitait faire de la marche, un autre des lotos, un autre du gospel et en fait avec l’Esprit saint, on a pu vivre tout ça et avec la communauté. Alors oui, le défi est là ! Oser ! S’embarquer ensemble ! Construire à partir des attentes de chacune des personnes en précarité mais aussi avec les charismes et les limites des compagnons de nous sommes.

Avancer avec l’accord du curé et les paroissiens, ça veut dire se dessaisir de nos projets sans savoir où cela peut mener, accepter d’être fragile, vulnérable sans sécurité, en rajustement permanent, délicat envers ceux qui ne peuvent pas encore entendre ceux qui nous remettent en question et rendre grâce pour ceux qui nous soutiennent et tout ce qui se vit de bon. Finalement un chemin humble, un peu à la ressemblance de la vie des pauvres. Bien sûr nous nous engageons dans la durée, à vivre nous aussi une fraternité de compagnons et en communion avec notre paroisse.

Maintenant en paroisse, il faut d’abord l’accord du curé. Nous en avons connu trois et la place de Bartimée reste floue car ce n’est pas un groupe comme les autres. Tous les services de la paroisse sont bien cadrés. Ce service du frère existe mais nous ne recevons aucune mission spécifique car servir aujourd’hui reste encore un appel et un engagement personnel et non communautaire. Alors que c’est, je crois, là que le monde attend l’Eglise.
Une communauté qui rassemble et reconnaît les plus petits et les plus pauvres, qui leur donne place et parole, n’est-elle pas le signe que c’est une communauté chrétienne ?
Certes au niveau des personnes, il existe aujourd’hui un véritable réseau pour qui Bartimée compte et sur qui Bartimée peut s’appuyer mais si un jour on change de curé et qu’il n’accepte pas que notre groupe soit un service paroissial, quel choix aurons-nous ?

Alors avec vous aujourd’hui comment pourrions-nous avancer en Eglise avec les services de la diaconie, et donner chair à cette exhortation de notre Evêque, Mgr Guy de Kerimel qui nous dit : « J’encourage toutes les paroisses et autres communautés chrétiennes à faire de la place aux plus petits, aux marginaux et aux sans voix ! »

Et les paroissiens témoignent !
« Ce n’est pas naturel de côtoyer des personnes vivant la précarité et chaque fois que c’est le cas, notre cœur s’ouvre. En d’autres termes s’ils n’étaient pas là ils manqueraient. Je pense qu’ils devraient être encore plus visible dans notre paroisse »

Un autre paroissien : « Aller la rencontre des pauvres, c’est faire en sorte que Dieu se révèle là où il habite déjà ! La paroisse s’enrichit ainsi de nouveaux membres, acquiert un cœur, et devient certainement une vraie paroisse, vivante aux yeux de Dieu. La rencontre du pauvre donne du sens, de la vie, une âme à la fraternité de la paroisse. »

Vivre la fraternité, c’est plus important que l’accueil !
Alors sur ce chemin, on peut dire que les très pauvres nous devancent par leur soif de fraternité : « La fraternité, c’est plus important que l’accueil, c’est plus profond, c’est un vrai contact, c’est des échanges, une écoute, une complicité construit ça prend du temps et il faut du suivi. Attention, pas simplement dire bonjour mais aussi avoir le désir de rencontrer l’autre. Et puis, ça dépend ce que tu partages et comment tu partages. »

Approchez-vous de nous, n’ayez pas peur !
Alors justement un des membres de la famille Bartimée a une parole assez forte :
« C’est ça la vérité, on est tous cabossés ! Qu’est-ce qu’il faudrait pour les interpeller ces personnes de la paroisse ? Que les gens ouvrent les yeux ! Les yeux du cœur ! Leurs oreilles pour que l’on puisse communiquer ! Parce que nous aussi Bartimée, on fait Église. C’est pour ça que c’est très important que ce soit un groupe paroissial. On fait appel à moi pour la lecture, c’est là que ça coince ! Ça va pas plus loin que ça ! Oui c’était bien avec le groupe Alpha mais ça ne va pas au-delà ! Oui c’est gentil, on se sourit, on se dit bonjour, ça va bien ? Mais en fait, on se sent à l’écart, on n’est pas comme eux ! Je la sens bien cette séparation. Ils sont là avec leurs familles, ils se connaissent, ils s’embrassent entre eux ! Ils communiquent entre eux, mais nous rien ! Ils ont peur de la différence ? Ils se posent des questions, ils ne savent pas quoi dire. Ils se demandent comment faire, si on a affaire à une personne qui a un comportement bizarre ! Comment les toucher ? Leur montrer à quel point, nous sommes capables de faire, de dire de belles choses, de belles paroles ! C’est la vérité ! On a tous un trésor enfoui ! On est des diamants, tous ! Il faut aller vers eux, leur dire : approchez-vous de nous, n’ayez pas peur ! Venez nous rencontrer, venez nous voir ! Entrez poussez la porte ! On est des humains comme vous ! C’est Jésus qui a dit ça non ? N’ayez pas peur. »

Pour que circulent de eux à nous et de nous à eux, le désir de Dieu
A entendre Geneviève, n’est-ce pas une invitation ou plutôt une convocation à la vérité de la rencontre ? Et finalement une convocation à la vérité de l’amour. Nous comprenons bien alors qu’il ne suffit pas d’écouter, d’entendre la parole des vrais pauvres, nous sommes appelés en vérité à nous laisser transformer par la chair de leur vécu pour que circulent de eux à nous et de nous à eux, le désir de Dieu. Faire de chacun de nous, le frère de Jésus mais aussi frères entre nous, sans qu’aucun ne soit abandonné. Ce nous, dont on a parlé hier et encore ce matin, ce nous à découvrir, à faire grandir. Autant dire convoquer à une conversion radicale. C’est un défi impossible pour nous. Il y faut sa grâce et c’est aussi un enjeu, un enjeu majeur, un témoignage à vivre communautairement, une réponse aux impasses mortifère de notre monde actuel.

Une reconnaissance locale inattendue
La 3e partie, c’est la fraternité hors les murs de notre église. Dans notre charte Bartimée, on a écrit : « Nous nous engageons à participer à la vie de nos villes, à être ouverts au monde. » Castanet, c’est quinze mille habitants. Comment, peut-on faire ça ? Et c’est là qu’est l’inattendu. Tout a commencé par une histoire de boîtes à chaussures ou boîtes à offrir aux pauvres, les boîtes à chaussures de Noël. Contactés par la mairie pour en en être bénéficiaires, on a accepté en renversant la proposition. On a dit : « Non, on veut être les acteurs ».
Ça a été : réception, emballage, remise à la Croix-Rouge et finalement Bartimée a été essentiel dans notre ville. Et de fil en aiguille nous avons été invité à participer à d’autres projets. En deux ans, on a enchaîné entre autres : les ateliers cuisine de la rue avec le réseau cocagne, la mise en route de la carte de sécurité sociale alimentaire et notre implication dans le plan alimentaire territorial.
En fait le point central a été d’annoncer que nous participions, à condition que les personnes de notre groupe soient présentes et participent dès le départ. Ça été accepté après discussion, tant ce n’est pas évident pour les responsables qui ont un plan, une méthodologie conçue en amont et parfois un salaire à défendre.
Autant dire que les premières réunions on été, faute d’un langage commun, un temps d’ajustement digne d’équilibristes. Nous sommes clairement identifiés comme des paroissiens et c’est très bon. Nous parlons au nom de notre expérience, famille et compagnon mais aussi à partir de notre foi et de notre espérance. Ici ce sont les pauvres qui représentent l’Église et parce que c’est eux, l’accueil est simple, chaleureux, bienveillant, entre sourire et éclat de rire, une réelle écoute attentive de leur situation, les postures de représentation disparaissent, on peut dire qu’on entre dans une relation de personne à personne et qui se communique ensuite à tous.

Quelques extraits de témoignages d’acteurs locaux
La directrice de Cocagne alimentaire : « Faire ensemble, avec la famille Bartimée, a été une source de grande joie et d’épanouissement pour toute notre équipe. Mais avant tout, c’est la bonne humeur, la convivialité, l’enthousiasme, le plaisir de faire ensemble que nous retiendrons. Ils nous ont permis de mettre de nouveaux visages sur le mot fraternité. Merci Bartimée ! »

Ou encore la chargée de projet alimentation durable à la mairie de Castanet :
« Pour ma part, j’ai tellement appris. Sur le fond, ce projet-là, a fait vibrer l’empathie profonde tapie en moi ! Prendre en compte, les limites de l’autre, reconnaître son expertise et ses craintes. La confiance s’est installée à travers le lien qui s’est tissé. Janine, Eric, Florine, Luc, Katie, Margaux sont autant de personnes ressources. Ils sont de tous les projets Contente d’entendre leur voix dans la vie de la cité maintenant, alors que je ne l’entendais pas parce que je ne l’écoutais pas. Et fière de participer à ce qu’elle soit entendue plus largement. Chouettes personnes, chouette chemin. »

Et du côté des membres de la famille Bartimée : « Je me sens utile. Peut-être qu’on aidera à plus de justice, à faire changer les choses. »

Une autre : « La nourriture, c’est ce qui rassemble et permet la rencontre. Ils ont mis en place des choses qui viennent de notre charte, ils nous ont laissé le temps de prendre notre place. On ne peut pas tout changer, mais on peut donner envie. Dans la rue, on s’arrête, on se reparle ce qui nous donne la force d’aller plus loin, d’avoir plus d’ouvertures, ça aide les gens à remonter la pente. Rencontrer des groupes différents qui nous écoutent sans juger, ça nous redonne confiance ».

Ne pas être de simples figurants
Alors dans tout ce que l’on vit, il est toujours question d’accessibilité à tous. Tous recherchent des personnes en précarité qui pourraient participer mais vous savez, comment pourraient-ils venir les pauvres ? En fait, on comprend bien que les nôtres osent venir et parler grâce à cette longue expérience dans la confiance qu’ils tissent avec Bartimée, avec la paroisse, avec le Seigneur. Reste un point de vigilance à garder. Sommes-nous présent comme de simples figurants ? Les décideurs sont-ils prêts à changer leurs regards, à se laisser transformer par ceux qui sont en échec, à bâtir et à partir avec eux? En fait, bien au-delà des objectifs programmés il y a pourtant là, quelque chose de simple, de léger, de frais qui se vit : une autre forme de fraternité, inédite, heureuse, libre, gratuite. Nous n’avons pas le monopole du désir de fraternité.

Alors les justes lui répondront, « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu, Tu avais donc faim et nous t’avons nourri ? Tu avais soif et nous t’avons donné à boire ? » Et si cette parole s’adressait à tous ceux que nous ne croisons pas dans nos communautés ? Si proches de nous, que nous ne croisons pas dans nos communautés.

Pour conclure,
Nous faisons l’expérience qu’à partir des familles très pauvres et avec elles, des relations fraternelles se tissent entre tous, en grand proximité, signe d’une fraternité en marche, vrai, vivante, dans notre paroisse et hors de notre paroisse. Et il y a une joie donnée, on ne sait pas trop comment, qui ouvre les cœurs, nous simplifie, éclaire les visages, fait jaillir l’espérance. L’espérance d’un possible parce que humainement tout semble impossible. Possible de marcher, d’être, de faire ensemble, heureux au-delà de tout ou plutôt avec toutes nos différences, tous nos désaccords. Nous en sommes témoins.

Et comme l’a dit Sarah, coordinatrice du projet de la sécurité sociale alimentaire de Toulouse : « La famille Bartimée est un réservoir de joie et de lumière auquel il est difficile de ne pas s’attacher. »

Cette espérance intacte, enfouie dans le cœur des fracassés de la vie, déborde de l’église. Elle est attendue par tant de jeunes aussi, comme un feu qui réchauffe de joie, feu de l’espérance pour ce monde de plus en plus froid. « Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrai que je sois déjà allumé. »

C’est exactement là, à partir de ceux qui sont dépouillés de tout espoir, qui nous disent quelque chose, d’être dans la souffrance et quelque part dans la joie en même temps, signes peut-être de Jésus-Christ ressuscité. C’est avec eux que Dieu nous attend. C’est si fragile et si puissant à la fois, invisible et à contre-courant, comme la petite graine de moutarde.

Alors avec Saint-Paul, si vous voulez bien, qu’il ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, afin que nous comprenions en quoi consiste l’espérance à laquelle nous avons été appelés ! (Ephésiens 1, 17)

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Une Église pauvre pour les pauvres

Dans le diocèse, la diaconie propose différentes initiatives pour rejoindre chacun au cœur de ses souffrances. Maladie, pauvreté, solitude, deuil ou exclusion sont autant de situations difficiles qui peuvent être vécues avec le Christ dans la fraternité, l’écoute, la compassion et la solidarité.

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