Accepter ses limites sans perdre l’espĂ©rance

1. Accepter ses limites sans perdre l_espérance portrait

Si la souffrance n’a pas de sens en soi, l’expĂ©rience de la fragilitĂ© reste fondatrice en anthropologie chrĂ©tienne. C’est par l’expĂ©rience de la fragilitĂ© que nous prenons conscience que nous ne sommes que des crĂ©atures, que nous ne sommes pas Dieu. Cependant, nous sommes parfois tentĂ©s de prendre Sa place, de jouer au sauveur. En effet, nous ne nous engagerions pas Ă  aider les autres si nous n’avions pas envie de les libĂ©rer de leur souffrance, ou tout au moins de les apaiser. TentĂ©s par la toute-puissance, nous faisons cependant l’expĂ©rience de notre propre fragilitĂ© et, parfois, de notre impuissance Ă  soulager. Alors, nous devons bien reconnaĂ®tre que nous ne sommes pas Dieu. Simples crĂ©atures, nous sommes des ĂŞtres en devenir, habitĂ©s par des espaces de fragilitĂ© qui sont diffĂ©rents selon les âges, de la vie. La première fragilitĂ© est celle du nourrisson, dĂ©jĂ  prĂ©cĂ©dĂ©e par celle de l’embryon, du fĹ“tus.

Dans certaines spiritualitĂ©s orientales, il est question de devenir des ĂŞtres « rĂ©alisĂ©s », c’est-Ă -dire libĂ©rĂ©s… Cet objectif n’est pas comparable au souci d’Ă©panouissement des Occidentaux. Il conduit Ă  renoncer Ă  l’ego et au dĂ©sir d’ĂŞtre quelqu’un, car tout est apparence et illusion. De mĂŞme, pour le chrĂ©tien, s’Ă©panouir ne signifie pas arriver Ă  dĂ©passer toute fragilitĂ©. Il s’agit d’accueillir et de traverser la fragilitĂ© plutĂ´t que de la conquĂ©rir ou de la vaincre. La logique contemporaine irait plutĂ´t dans le sens du combat contre toute fragilitĂ© afin de devenir invulnĂ©rable. Cela aussi est illusion. Certes, il nous faut utiliser les soins qui peuvent nous aider Ă  mieux vivre et, parfois, Ă  nous libĂ©rer de certaines fragilitĂ©s prĂ©cises. Mais vouloir se libĂ©rer de toute forme de fragilitĂ©, c’est rĂŞver de toute-puissance ou, tout au moins, d’une perfection illusoire.

Ă€ certaines Ă©poques de l’histoire de l’Église, comme au temps du jansĂ©nisme, de nombreux dĂ©gâts ont dĂ©coulĂ© de la confusion entre saintetĂ© et perfection. Nous n’avons pas Ă  ĂŞtre parfaits, sans dĂ©fauts, irrĂ©prochables. Lorsque JĂ©sus dit : « Soyez parfaits comme votre Père cĂ©leste est parfait 1 » (Matthieu 5, 48), il parle de la perfection de l’amour, de la misĂ©ricorde. Nous ne sommes pas parfaits, nous ne serons jamais parfaits, mĂŞme si nous sommes invitĂ©s Ă  aimer toujours mieux. C’est dans la mesure oĂą nous avons Ă©tĂ© blessĂ©s, « vulnĂ©rabilisĂ©s », que nous sommes capables de rejoindre les personnes souffrantes. Alors n’essayons pas d’ĂŞtre parfaits, de tout contrĂ´ler, de devenir invulnĂ©rables. Sauf Ă  devenir parfaitement insupportables pour notre entourage. Etre saint, c’est accepter d’ĂŞtre fragile, consentir aux limites de son corps, de son affectivitĂ©, de son psychisme tout en continuant Ă  aimer et Ă  se laisser aimer. C’est se reconnaĂ®tre pĂ©cheur, et pouvoir alors parcourir un chemin de conversion. Parce que nous appartenons Ă  l’espace, au temps, nous sommes soumis Ă  la tentation, Ă  l’usure de nos ressources et de nos bonnes rĂ©solutions, jouissant, selon les Ă©poques de la vie, de plus ou moins d’Ă©quilibre et de force.

Cependant, nous savons aussi que lorsque la souffrance du corps devient trop lourde Ă  porter, le sujet que nous sommes risque de disparaĂ®tre. Plus nous faisons l’expĂ©rience du vieillissement, de la maladie, du handicap, plus il est difficile d’ĂŞtre reconnu comme un sujet autonome, d’ĂŞtre respectĂ© comme une personne Ă  part entière. Le danger pour notre entourage, c’est de ne plus nous voir comme un sujet, mais plutĂ´t comme un objet de soin plus ou moins encombrant. Jusqu’Ă  se dire : il faut arrĂŞter de s’occuper de ce corps, de le laisser souffrir… en oubliant peut-ĂŞtre qu’il est encore et toujours une personne humaine.

Quand le corps devient trop encombrant, le sujet risque de disparaĂ®tre aux yeux des autres. Aujourd’hui, nous sommes obsĂ©dĂ©s par la beautĂ© et la santĂ©, nous perdons de vue la dimension de saintetĂ©, que l’on ne peut confondre avec la santĂ©. Un trop grand souci pour la santĂ© peut devenir un obstacle Ă  un chemin de saintetĂ©. Alors, le sujet disparaĂ®t parce que refusĂ© avec sa fragilitĂ©. Il faut trouver une juste attitude Ă  propos de cette pression de notre culture contemporaine. Je ne dis pas que les chrĂ©tiens n’ont pas Ă  s’occuper de beautĂ©, de santĂ©, mais il leur faut toujours garder une libertĂ© intĂ©rieure et un discernement dans ce domaine, comme dans les autres.

Un autre aspect de notre fragilitĂ© fondatrice rejoint l’expĂ©rience selon laquelle nous sommes tous, Ă  des degrĂ©s divers, marquĂ©s par le pĂ©chĂ©. Certains chrĂ©tiens ont pu enseigner que la souffrance Ă©tait la punition du pĂ©chĂ©. Non, c’est une consĂ©quence de notre Ă©loignement de Dieu, non une punition de sa part. Dieu n’est pas Ă  l’origine de la souffrance. Jamais, dans le Nouveau Testament, il ne se prĂ©sente comme un Dieu vengeur. Il ne se rĂ©jouit pas de nous voir souffrir, il ne veut pas la mort du pĂ©cheur (Luc 15, 10). Le monde dans lequel nous sommes nĂ©s est un monde blessĂ© par le pĂ©chĂ©, et c’est ce que veut exprimer l’expression « pĂ©chĂ© originel ». Or, très tĂ´t, nous passons de l’Ă©tat de victime Ă  celui de complice, Ă  cause du mauvais usage de notre libertĂ©. S’il y a un rapport entre la souffrance et le pĂ©chĂ©, c’est parce que, chaque fois que nous manquons d’amour, nous pratiquons le pĂ©chĂ©, nous blessons l’autre, et donc aussi notre Dieu, qui s’est identifiĂ© aux plus petits d’entre nous. Il ne faut pas prendre la souffrance pour une punition du pĂ©chĂ©. Cependant, la souffrance de l’autre est parfois la consĂ©quence de notre pĂ©chĂ©, puisque nous lui avons infligĂ© des blessures. Il y a aussi la souffrance morale que nous nous infligeons Ă  nous-mĂŞme, lorsque nous dĂ©couvrons Ă  quel point nous pouvons faire mal Ă  l’autre. Cela aussi fait partie de l’expĂ©rience de la fragilitĂ©.

Extrait de « traverser nos fragilités » de Bernard Ugeux

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